Pendant des années, j’ai vu citer à de nombreuses reprises le livre de J. L. Talmon titré « Les origines de la démocratie totalitaire » sans arriver à en trouver la trace dans les librairies ni chez les bouquinistes : ce livre semblait devoir éternellement m’échapper et rester un véritable « mythe » inaccessible à ma lecture
Jusqu’au jour béni où une amie royaliste me l’a offert pour me remercier de ma fidélité aux lys
Je profite donc des « vacances » que l’Education nationale m’accorde, faute de corriger un bac déjà dénoncé par de nombreux collègues comme une « tartufferie », pour me plonger dans ce livre écrit au début des années 50 mais publié en France en 1966 seulement par les soins de Raymond Aron dans sa collection « Liberté de l’Esprit » chez Calmann-Lévy.
Ce livre est passionnant : comme l’écrit le rédacteur de la présentation de l’ouvrage, « l’auteur nous montre l’apparition et le développement de ce concept [la démocratie totalitaire] à travers la pensée de Rousseau, celle de Saint-Just, l’improvisation jacobine ; et puis, après Thermidor, dans la conspiration communiste de Babeuf. (
) J. L. Talmon a fait une étude de la révolution française dans le dessein d’identifier les origines historiques de la « démocratie » telle qu’on l’enseigne et qu’on la pratique aujourd’hui en Chine, en Russie et dans l’Europe de l’Est [en 1966, date de publication du livre en France].
Il est intéressant de voir comment une idéologie évolue pour atteindre à un résultat exactement opposé aux prémisses.
Un livre qui démontre la « dualité » du concept démocratique ».
Au regard de l’intérêt et de l’érudition de cet ouvrage, je dois avouer que je comprends mal pourquoi il n’a, à ma connaissance, jamais été réédité : est-ce parce qu’il met à mal toute une mythologie révolutionnaire en démontant le discours des Rousseau, Robespierre et Saint-Just, ce que fera aussi, par la suite, un François Furet, et en montrant comment, au cur du système intellectuel même des Lumières et de la Révolution française, peut se nicher, en toute « logique et bonne foi », la pire des politiques « inhumaines » ? Par contre, je comprends bien pourquoi des lecteurs, « maurrassiens » mais aussi libéraux à la façon de Tocqueville ou Aron, y ont trouvé des arguments propres à les conforter dans leur défiance à l’égard des théories démocratiques.
En tout cas, ce livre conforte l’idée que j’évoque souvent devant mes élèves quand la question de la définition de la démocratie est posée : celle que les systèmes communistes issus de la révolution bolchevique de 1917 peuvent tout à fait se revendiquer de la démocratie, ou du moins d’une forme, d’une déclinaison possible de la démocratie, car celle-ci, si elle peut être pluraliste et libérale, ne se limite pas à l’aspect « modéré » et « raisonnable » que nous lui connaissons aujourd’hui dans notre pays. D’ailleurs, Talmon rappelle, au début de son livre, que le courant « démocratique totalitaire » coexiste avec le courant « démocratique libéral » apparu en même temps et à partir des mêmes prémisses. La Révolution française en est d’ailleurs la meilleure illustration : les « monarchiens » et autres monarchistes constitutionnels, qui sont à l’origine de la « Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen », sont attachés à une lecture libérale des Lumières quand les Jacobins, et en particulier les hommes du Comité de salut public de 1793-94, mettent en place une pratique « vertueuse » et « terrible » des idées de Rousseau, ce que, à sa manière d’écrivain, dénoncera Anatole France dans « Les dieux ont soif », écrit en 1912.