A l’occasion de la fête nationale du 14 juillet qui, cette année, tombait un samedi, de nombreux centres commerciaux et grandes surfaces avaient décidé d’ouvrir leurs portes pour ne pas « perdre un samedi » en cette période de soldes : ce fut le cas à Parly 2, situé aux portes de Versailles, malgré l’opposition des syndicats de salariés et la grogne de nombreux commerçants du centre lui-même. En fait cette ouverture fut un demi-échec puisque la fréquentation n’atteignit pas les espérances des promoteurs de cette ouverture : 60.000 personnes au lieu de 90.000 attendues. Mais le mal était fait.
En fait, cette ouverture, était un « test » quelques semaines après la mise en place d’un gouvernement où les partisans de l’ouverture maximale des centres commerciaux sont légion : derrière le « 14 juillet », jusque là préservé (c’était la première fois depuis l’inauguration de Parly 2 en 1969 que ce centre ne respectait pas ce jour férié et chômé
) alors que les autres jours fériés sont, depuis déjà quelques années, « ignorés » par les grandes structures commerciales (sauf, pour l’instant, Noël et le Jour de l’An), c’était le dimanche chômé qui était visé. L’affaire de Plan-de-Campagne, grand centre du sud de la France, à qui les tribunaux ordonnent le respect de la fermeture dominicale et à qui, dans le même temps, le préfet donne le droit, pendant un an (le temps que la loi change
), d’ouvrir ses portes tous les dimanches est, à cet égard, révélatrice. L’actuelle ministre de l’Economie et des Finances, Christine Lagarde, dans le cadre de la politique du « travailler plus pour gagner plus », est elle-même favorable à la fin de cette « restriction » dominicale, au nom, bien sûr, de « l’intérêt de l’emploi » et de celui des consommateurs
Elle est soutenue par le président de la République qui vient encore de réaffirmer cette position dans ses récentes déclarations télévisées. En somme, il s’agit d’une offensive générale contre le « repos dominical », au nom de « l’intérêt économique », notion qu’il est bon d’encadrer de guillemets pour en montrer toute l’hypocrisie. La loi de juillet 1906 instaurant le repos hebdomadaire du dimanche et qui était jusqu’alors considérée comme un progrès social semble avoir vécue. Pourtant, cette loi qui permettait aussi quelques dérogations sans en faire la règle était un bon équilibre entre les intérêts des uns et des autres et, jusqu’à une période récente, ne soulevait guère d’opposition : les temps, ou l’état d’esprit du moment, a visiblement changé sans que cette « rupture » puisse être considérée comme une bonne chose.
Car évidemment, le gouvernement s’appuie sur des sondages qui donnent une large majorité de nos concitoyens favorables à cette ouverture dominicale et sur les salariés, souvent étudiants, prêts à venir ainsi travailler le dimanche, avec l’espoir d’être plus payés que les autres jours de la semaine. Or, il faut bien constater que cette pratique a été le meilleur moyen de ne pas augmenter les salaires des salariés « habituels » et que, dans le cadre du travail saisonnier, les salariés n’ont pas vraiment, contrairement à ce qui est dit, le choix de refuser le travail dominical : le faire c’est s’exposer à des vexations ou à des mesures de rétorsion, en particulier sur l’organisation des horaires de travail
Les arguments qui évoquent la forte disponibilité des consommateurs le dimanche sont souvent mis en avant mais, s’ils peuvent paraître logiques dans une société qui a érigé la consommation en principe vital (« consommer pour produire » est le mécanisme même de la « société de consommation »), ils ne doivent pas pour autant déterminer toute organisation du travail sans prendre en compte la nécessaire « respiration sociale » que permet la fermeture dominicale. Bien sûr, il s’agit de préserver la vie familiale en permettant aux salariés de disposer de ce jour « chômé » commun aux enfants scolarisés et aux parents, et cela est d’autant plus important dans une société où les liens sociaux ont tendance à se distendre, voire à disparaître au profit des « mondes virtuels », ludiques ou non. Mais, pour les étudiants sans attaches familiales particulières durant l’année ? Leur emploi dominical n’est-il pas une manière de ne pas toucher aux familles tout en permettant une activité commerciale ouverte à ces mêmes familles pour qui la grande surface serait devenue « l’église de substitution » ? Cet argument est en fait utilisé pour « défaire le dimanche », c’est-à-dire le banaliser et en faire un jour comme un autre, qui serait « travaillé » comme les autres et, une fois officialisé, rapidement payé comme les autres : c’est ce que demandent déjà certains patrons au nom des principes de libre concurrence et, plus habilement, en s’appuyant sur l’interdiction de pratiques qui « fausseraient la concurrence » (c’est, par exemple, l’argumentation d’un Pierre Bergé) ... Après tout, pourra considérer le législateur européen ou français, pourquoi maintenir une quelconque différence, même de traitement, entre les jours, de toute façon tous travaillés ? C’est une conséquence à laquelle de nombreux Français, qui pensent en consommateurs mais pour beaucoup ne seraient pas d’accord pour travailler eux-mêmes le dimanche, ne réfléchissent guère : le leur rappeler pourrait ouvrir quelques yeux
En fait, au-delà de ces considérations, il faut garder le dimanche comme un symbole d’un temps de repos nécessaire pour les personnes, comme un jour « différent » des autres qui se marque par cet « éloignement » à l’égard du « temps marchand » : il reste encore six jours dans la semaine pour acheter et, dans notre société, il est rare (et de toute façon peu souhaitable) que les gens travaillent plus de cinq jours, ce qui en laisse toujours un qui puisse être, pour ceux qui ne peuvent s’en passer, celui des « courses »
Préserver le dimanche chômé c’est montrer que la vie des êtres humains n’est pas réductible à la seule activité consommatrice ou à la fonction commerçante.