Dans moins d’un an aura lieu le scrutin présidentiel et il semble que toute la classe politique ne pense plus qu’à cette échéance, qu’elle est devenue leur seul horizon. En fait, la campagne présidentielle a-t-elle vraiment cessé depuis 2002, depuis ce 21 avril qui a bousculé les pronostics traditionnels d’un combat classique droite-gauche au second tour ? Cette « présidentielle permanente » semble désormais caractéristique de la Ve République, en particulier depuis l’instauration du quinquennat qui a raccourci le temps présidentiel et l’a, d’une certaine manière, confondu avec le temps parlementaire. Cela entraîne aujourd’hui une paralysie de l’Etat qui semble, de plus en plus, se contenter de gérer plutôt que de diriger, son autorité n’ayant cessé d’être mise à mal par les diverses contestations mais aussi par les maladresses d’un Pouvoir de moins en moins sûr de sa légitimité ; d’autre part, cela brouille l’image de la France à l’étranger, sa visibilité comme sa crédibilité, au moment même où notre pays aurait tant à dire et à faire, en particulier du fait de l’échec de la « Constitution européenne ». Cette situation est encore aggravée par la véritable lutte pour le « trône présidentiel », une lutte fratricide qui se joue au cur même du gouvernement, sans aucun égard pour l’Etat lui-même et ses devoirs à l’égard de la société française : quelle image que cette sourde guerre entre des personnalités, parfois brillantes, qui n’ont de cesse de discréditer l’adversaire, le concurrent potentiel, et qui, au lieu de s’entendre pour résoudre la crise des institutions ou d’apaiser l’incertitude (voire l’inquiétude) sociale, cherchent d’abord à soigner leur image et leurs intérêts particuliers et partisans.
Il serait simple et tellement plus commode de se contenter de ce constat et de hausser les épaules en déclarant son impuissance ou son dégoût, son indifférence ou son fatalisme. Il serait facile de réclamer quelques réformes de forme plus que de fond, ou de trouver dans les modèles d’hier des solutions à la situation d’aujourd’hui : d’ailleurs, certains ne proposent-ils pas le retour à une République parlementaire, pâle copie des expériences malheureuses de la IIIe et de la IVe Républiques saupoudrée de quelques théories mendésistes ? La fameuse VIe République (en attendant la VIIe puis la VIIIe
) a un goût de déjà-vu et semble le résultat d’une insatisfaction plus que d’une inspiration ou d’une réflexion
Pour ceux que préoccupent le sort et le rôle de l’Etat et la place, l’action de la France dans le monde, la réflexion doit passer, désormais, par la question de la magistrature suprême de l’Etat, par la désignation du Chef de l’Etat et la définition de sa fonction et de son exercice.
Or, les Français semblent attachés à l’élection au suffrage universel du Chef de l’Etat, la « reine des élections », héritage de la période gaullienne et d’une certaine personnalisation du Pouvoir. Pourtant, même ce scrutin est touché par une abstention de plus en plus forte et la poussée des votes contestataires, ce qui en limite la visibilité et la crédibilité : le premier tour est considéré comme un « vote de plaisir », plus fondé sur l’émotion que sur la réflexion, et cela provoque, d’une certaine manière, une dépolitisation du scrutin comme on a pu le constater en 2002 où la morale a pris la place de la politique, au risque de brouiller le sens même de l’élection du Président de la République et de créer des malentendus fort dommageables pour la compréhension du politique
Aussi est-il temps de poser la nécessité d’un autre mode de désignation du Chef de l’Etat pour rendre à l’Etat ce que les dernières élections présidentielles lui ont fait perdre, en particulier sa crédibilité et sa capacité d’action et d’intervention sur le long terme.
Dans un monde de plus en plus mobile et, par suite, souvent instable, réintroduire la continuité pour permettre d’inscrire l’action politique de l’Etat dans le nécessaire temps long des réformes et de leur complète application (ce que demandait avec insistance le philosophe Michel Serres lors d’une récente émission de radio), c’est dépasser, forcément, le temps court des législatures et des présidences, c’est faire du temps un allié et non plus un ennemi ou un obstacle. Puisque le mode électif ne permet pas une telle continuité, le meilleur (et le plus naturel) des moyens de la permettre, c’est de l’établir par la suite des générations, par la succession héréditaire, au risque de surprendre, voire de choquer si l’on n’explique pas les choses, nos contemporains habitués à la routine électorale présidentielle.
En fait, la succession héréditaire, si elle n’a pas que des avantages, en a sans doute plus, en particulier pour notre pays, que cette élection qui ne voit pas forcément « le meilleur », « le plus compétent » ou « le plus vertueux », l’emporter en fin de compte, mais le plus habile ou manuvrier des politiciens, celui qui sait « se placer » près des grandes puissances financières ou partisanes du moment, et qui sait, dans la phase finale de la compétition, convaincre (avec des arguments parfois démagogiques, « la fin justifiant les moyens »
) la majorité des électeurs-souverains. Tandis que la « reine des élections » divise sur des critères politiques et personnels, particularistes ou individualistes, la transmission de la magistrature suprême de l’Etat par le simple « fait d’être né fils du roi » ne peut, en tant que telle, s’acheter et, du coup, elle bénéficie d’un avantage important car, au lieu de retrancher des compétences comme le fait la victoire d’un candidat sur un autre, elle peut surmonter les différences partisanes, écouter et s’adresser à chacun sans préjugé idéologique. Inscrite dans la durée naturelle de la vie des hommes, de la jeunesse à la vieillesse, y compris dans la joie comme dans la maladie, la Monarchie héréditaire est le symbole même de l’Histoire du pays, avec ses drames et ses gloires, ce qui signifie qu’elle est « inactuelle » parce qu’elle est, par essence, de tous les temps et qu’elle est le maillon institutionnel entre l’hier et le lendemain : l’Anglais Richard Frederick Dimbledy, cité par Stéphane Bern dans son ouvrage « La Monarchie dans tous ses états », explique que « lorsqu’on regarde la reine [Elisabeth II ], on voit en réalité le souverain qui, sous des visages différents, guide et garde nos affaires depuis neuf cents ans ». Ce que le général de Gaulle reconnaissait au principe monarchique, y compris lorsqu’il s’incarnait dans un Prétendant et non plus dans un souverain régnant, et qu’il réaffirmait au comte de Paris (1908-1999) en lui écrivant cette lettre du 18 décembre 1957 : « Vous, vous êtes éternel. Moi, je ne suis que l’homme qui passe. Vous avez cet unique privilège d’être toujours là ». Ce trait d’union entre les temps et les traditions différentes est à la fois la garantie de la longue mémoire, mais aussi de la « possibilité d’oubli », au sortir des grandes crises politiques (ou religieuses, comme l’a montré le roi Henri IV avec l’édit de Nantes), cette possibilité parfois si importante pour recoudre le tissu national et dont le roi Louis XVIII a utilisé tous les ressorts au sortir de la période révolutionnaire et impériale, au risque d’apparaître parfois ingrat. C’est aussi ce qui a permis à l’Espagne, au sortir du régime autoritaire du général Franco, de ne pas replonger dans la guerre civile et d’amorcer son retour sur la scène géopolitique en Europe comme en Amérique hispanique.
(à suivre)