Ces temps derniers, il est beaucoup question de l'"immigration choisie", défendue par M. Sarkozy, au grand scandale de la gauche. Mais cette idée n'est pas l'apanage de l'actuel ministre de l'Intérieur : Michel Rocard, ancien premier ministre socialiste de 1988 à 1991, défendait ce même point de vue en 1997 dans un article du quotidien "Le Monde" (daté du 21 février 1997).
Certains penseront que j'ai une excellente mémoire pour être ainsi capable de me rappeler de ce texte, et de sa date exacte... En fait, je n'ai pas beaucoup de mérite à cela puisque j'avais alors écrit un article, publié dans "L'Action française", et dénonçant les conceptions de M. Rocard sur l'immigration, avec ce sous-titre fort évocateur : "Les hommes ne sont pas échangeables et interchangeables comme les marchandises".
Le texte en est un peu long et j'avoue ne pas avoir le temps de le retaper sur l'ordinateur, mais en voici quelques lignes, dont je rappelle qu'elles ont été écrites il y a 9 ans déjà : (...) "La mobilité sociale n'est pas seulement professionnelle, mais revêt aujourd'hui un aspect territorial, et l'émigration-immigration en est le moyen privilégié [selon ceux que j'appelle les "néo-nomadistes"]. M. Rocard d'ailleurs écrit : "(...) il nous faut établir une immigration limitée, calculée et contrôlée, précisément adaptée à nos besoins et à nos moyens et négociée, chaque année, avec les pays d'origine." Ce propos fait preuve d'un cynisme total : "adaptée à nos besoins et à nos moyens" ! M. Rocard prône, en définitive, une forme de traite négrière dont les flux dépendraient des circonstances économiques, et que l'on négocierait avec les autres Etats, comme on négocie un échange de matières premières. Sommes-nous condamnés à ce triste destin de nomades pour raisons économiques que nous préparent MM. Rocard et Chirac ?"
D'autre part, ce que je signalais lors de conférences faites ces dernières années devant des auditoires royalistes mais aussi devant mes classes lorsque le sujet était abordé, c'est-à-dire que les pays du Sud, et en particulier ceux d'Afrique, finiraient par se rebiffer devant le pillage de leurs cerveaux et de leurs bras et qu'ils s'inquiétaient devant cette forme d'immigration sélective (qui, d'ailleurs, semble parfois se faire naturellement, de par la propre volonté de ces migrants "qualifiés", désireux de trouver une meilleure rétribution à leurs compétences dans les pays riches), est en train de se réaliser. Il n'était pas difficile de le comprendre, mais les économistes et les politiques n'ont pas vraiment fait l'effort de réfléchir au-delà de leurs schémas et préjugés... Et, aujourd'hui, les dirigeants africains le font savoir, haut et fort, comme on a pu le lire dans la presse ces derniers jours...
Cela étant, la question de l'immigration est une question délicate que les politiques se doivent d'aborder sans tabou ni crainte, en gardant à l'esprit la vieille formule capétienne : "Savoir raison garder". L'immigration est un fait, mais il n'est pas certain que cela soit forcément un bienfait ou obligatoirement un méfait : mais la mobilité des hommes ne doit pas devenir, comme le souhaiteraient certains immigrationnistes ou ultra-libéraux (et parfois, ce sont les mêmes...), un "nomadisme obligatoire" ou un "déracinement" programmé pour des raisons purement économiques. N'oublions pas que, derrière les mots, il y a des hommes, et que ceux-ci ne sont pas de simples éléments de statistiques, ou des marchandises. N'oublions pas aussi que les sociétés sont fragiles, et que vouloir en changer brusquement l'alchimie et les équilibres complexes, issus d'une Histoire souvent longue et ancienne, est fort dangereux pour l'harmonie et la paix civile. Penser l'immigration en négligeant les moyens de l'intégration, ou de la francisation, c'est plus qu'une erreur, c'est une faute que l'avenir risque de ne pas pardonner aux oligarques qui gouvernent notre République...